Livre: Ma vie au Nunavik (19)

Internet Haute vitesse!!!

Vendredi 16 octobre 1998 : Il n’y a pas d’accès internet dans le labo d’informatique de l’école. Comme mon modem a été pulvérisé dans le transport de mes effets personnels par les douillets manutentionnaires d’Air Inuit, je me retrouvais jusqu’à aujourd’hui sans internet ni évidemment accès à mes courriels.

C’est totalement par hasard que j’ai réussi à trouver une solution. Comme je suis le seul qui semble posséder les connaissances informatiques nécessaires, j’ai joyeusement (sic) été élu responsable du labo. En fin d’après-midi aujourd’hui j’ai décidé d’explorer le contenu d’une grande armoire au fond du labo que je n’avais pas osé ouvrir depuis le mois d’août.

À première vue, elle ne contenait que de vieux logiciels du genre DOS2.0 et un paquet de fils de connexions LPT et quelques autres antiquités. Mais en fouillant un peu plus, j’ai trouvé un peu d’espoir…un vieux modem externe 14.4!!! Je l’ai donc mis dans mon sac pour vérifier chez-moi s’il fonctionnait encore.

J’arrive chez-moi, branche le tout…la lumière s’allume, c’est déjà bon signe. Puisque j’avais un abonnement annuel à mon ISP de Montréal, j’avais toujours la possibilité de m’y brancher…évidemment par interurbain! Je programme donc ma connexion et je me lance…CONNEXION ÉTABLIE À 3.2 KBs!!! Ouch!

J’ouvre mon « inbox »…RECEIVING MESSAGE 1 OF 235…oops!

Comme mon plan interurbain comporte 800 minutes par mois pour 20$ et que chaque minute additionnelle me coûte $0.30, va falloir que je compte mes affaires pour ne pas me ramasser avec une facture astronomique.

Après 2 heures de connexion, j’en suis rendu au 62e message sur 235…ouen…ya pas à dire, on nage vraiment en pleine haute-vitesse! Mais bon, si je veux être fonctionnel, va pourtant falloir que je la vide ma maudite boîte. Je laisse donc rouler pour les 4 heures suivantes avant de me coucher et j’en suis rendu au 203e message. Je ferai donc le reste demain matin.

Voilà une autre réalité assez particulière de la vie en région éloignée!

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (18)

Jaani

Jeudi 8 octobre 1998: L’école Arsaniq est habitée par une étrange créature, un personnage très particulier. Oh, il est totalement inoffensif, n’ayez crainte. Mais il est non seulement spécial dans son genre…il est unique! Son nom est Jaani et c’est le secrétaire de l’école.

Physiquement, Jaani rappelle Dany Devito. Mais ce n’est pas ce qui fait sa particularité. Jaani, qui est dans la quarantaine avancée, a compris tous les principes de conservation de l’énergie qui ont été si primordiaux à ses parents et ancêtres qui vivaient dans la toundra à longueur d’année. Mais imaginez maintenant ces principes pour quelqu’un qui travaille dans une école…

Premier exemple : son bureau est à quelques 5 mètres du salon du personnel où sont les pigeonniers de tous les employés. Les noms de ceux-ci sont indiqués par des petits bouts de papiers imprimés et qui sont collés avec du ruban et qui doivent être changés périodiquement en raison du roulement de personnel et du fait qu’ils sont en ordre alphabétique. Or, notre cher Jaani imprime ses petits bouts de papier, s’équipe de ciseaux et de ruban, s’assoit bien confortablement sur sa chaise à roulettes et…roule jusqu’aux pigeonniers! Oui oui…il part de son bureau bien assis sur sa chaise, traverse le corridor, arrive aux pigeonniers, fait les petits changements de noms et retourne ensuite en roulant devant son ordinateur sans pour autant se lever de sa chaise ne serait-ce qu’une seule fois. C’est quand même extraordinaire comme conservation d’énergie!

Deuxième exemple : quand il reçoit un appel pour un membre du personnel, plutôt que d’appeler aux différents postes où la personne pourrait se trouver, il décide de crier à travers son bureau de façon à ce que toute personne présente au salon du personnel l’entende, tout ça en espérant que la personne en question soit là ou que quelqu’un d’autre se charge de la trouver!

Les exemples sont multiples. Mais bien d’autres choses font de Jaani un être surprenant. On pourrait penser qu’un secrétaire d’école est bien occupé, mais dans une école d’une grandeur semblable, il semble que le temps soit long…en fait les trois tâches les plus exigeantes de Jaani sont de jouer au Scrabble sur son ordi, faire pèter les bulles de « papier à bulles » mais surtout…faire le ménage constant de son nombril à travers le trou de tous ses Tshirts qui sont spécifiquement conçus à cet effet!

Mais ne vous trompez pas, Jaani est un être très cultivé car il lit constamment les grandes œuvres de la littérature américaine. En effet, il a tous les numéros des Archies, Betty et Véronica et autres Jughead!

Jaani parle très rarement. Impossible de discuter avec lui. Il est évident qu’il est surtout gêné mais il arrive qu’il vienne vers vous sans aucune autre raison que de vous dire une blague de son cru…blague qu’il a longuement mûrie pendant son dernier épisode de ménage de nombril.

Malgré tout ça, Jaani est très sympathique. Il a un petit quelque chose qui fait qu’il est impossible de lui en vouloir ou de ne pas l’aimer.

Au fond, il doit être un grand incompris…un philosophe qui ne vit qu’intérieurement   🙂

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (17)

King  Jimmy

Mercredi 7 octobre 1998 : Mon Jimmy m’en fait vraiment baver de plus en plus. Il m’a pèté toute une coche aujourd’hui. Il dérangeait toute la classe avec ses jokes, se levait tout le temps pour aller voir ce que les autres faisaient, je lui disais constamment d’aller s’asseoir, de travailler, etc.

Après 20 minutes de ce petit jeu, j’en ai eu assez. “Jimmy, si ça ne te tente pas d’être ici et de travailler et que tu veux juste déranger les autres, va donc déranger les caribous dans la toundra!”

Oh boy! Le Roi Jimmy ne l’a pas trouvé drôle! Les papiers et livres ont r’volé, il a lancé sa chaise sur le mur, ramassé ses pénates et s’est dirigé tout droit vers moi. Comme j’étais entre lui et la porte de la classe (chose à ne pas faire), je me suis tassé et il est sorti en baragouinant quelque chose en Inuktitut. J’ai compris plus tard qu’il avait comparé votre humble serviteur à un muscle sphincter du bas du corps…Honnêtement, comme il a déjà 19 ans le ptit Jimmy…bon débarras. À un moment donné, l’intégrité et le bien de la classe doivent primer.

On verra bien s’il reviendra et surtout dans quel état d’esprit.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (16)

Tuques et manteaux

Vendredi 25 septembre 1998: Si je vous disais « les Inuit sont frileux » vous me traiteriez probablement de niaiseux. Pourtant, en observant les habitudes, c’est ce qu’on pourrait penser à l’occasion.

En effet, depuis mon arrivée ici, et surtout dans ma classe, je remarque que tous les élèves insistent pour garder leur manteau (Parka, Attigi ou Amauttiq) et leur tuque (Nassaq) sur eux même dans l’école, pendant les cours. Et là attention, ce n’est vraiment pas parce qu’il fait froid dans l’école. Je suis en manches courtes, il fait 22-23 degrés facilement et personnellement, je n’ai pas besoin de bouger beaucoup pour avoir chaud.

Alors, comme on dit « c’est quoi l’buzz? ». J’ai beau me creuser les méninges, je ne trouve pas d’explication. On pourrait penser que ce sont seulement les filles adolescentes qui sont gênées par leurs changements physiques liés à la puberté mais non, les gars aussi font ça et les plus vieux également. 

Pourtant, ils ont dû comprendre depuis longtemps que d’avoir chaud en dedans est la meilleure façon d’avoir froid une fois dehors!

Pour la tuque, à la limite, je pourrais comprendre pour ceux qui sont en plein « bad hair day » mais le manteau lui?

Est-ce que c’est un restant de l’époque des igloos où on gardait facilement nos vêtements avant de se coucher sous les peaux?

Vraiment, c’est une énigme…que j’entends bien résoudre un jour!

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (15)

Pool d’hockey

Jeudi 24 septembre 1998 : J’ai toujours été un maniaque de pools d’hockey que j’organisais avec mes chums du Sud. D’ailleurs, je poursuis toujours l’aventure avec eux. On devrait faire le repêchage en fin de semaine avec moi au téléphone bien-sûr. Il était donc normal que je veuille en organiser un ici aussi d’autant plus que les Inuit sont maniaques du hockey. J’ai donc monté une petite structure simple et affiché le tout à l’école, à la Coop, à l’aéroport, au Northern, au bureau municipal et évidemment à l’aréna!

Ça m’a d’ailleurs fait subir les foudres de Chris qui trouvait que je lui pilais sur les orteils. Il est vrai que j’aurais pu demander au monde s’il en existait un ici mais comme je n’avais rien vu d’affiché avec un mois à faire avant le début de la saison de la LNH, je me suis lancé. Le repêchage en question vient juste de se terminer.

 

J’ai réussi à avoir 14 participants : Guylaine, Carlos, Jaani, Charlie, Sheona, Lukasi, Tracey, Pierre, Taqa, Patrick, Roland, Chris, Annick et moi. Quand même pas mal pour une première du genre. Nous avons tous mis 20$ et ça donnera 168$ au premier, 84$ au deuxième et un beau 28$ au troisième. Bon, ce n’est pas avec ça qu’on va contrer les effets du pouvoir d’achat nordique mais ça agrémente les matchs qu’on peut regarder à la télé et évidemment, ça nous donne d’excellentes occasions de tirage de pipe!

 

Nous devions tous choisir 12 joueurs, 6 avants, 4 défenseurs, 1 gardien et un substitut qui pouvait être de n’importe quelle position. Seuls les 10 meilleurs pointeurs de notre équipe compteront pour le classement, laissant ainsi la chance d’être dans la course malgré une blessure majeure à un de nos joueurs.

 

J’ai eu la chance de choisir 14e!!! Bon, pour ceux qui connaissent les pools, si on ne choisit pas 1er, il est souvent mieux de choisir dernier en première ronde puisque ça implique qu’on choisit aussi 15e (1er de la 2e ronde) et donc qu’on fait toujours 2 choix d’affilée. Ça permet de voir venir les choses et de ne pas prendre de chance qu’un joueur en particulier sera disponible lors de notre prochain choix.

 

Puisque j’ai une grande histoire avec Joe Sakic, je me suis garoché dessus à mon 1er choix. Oui oui, il y a des malades qui l’ont laissé passé en pensant faire mieux avec un gardien comme premier choix. J’en suis bien heureux! Surtout que j’ai eu le plaisir de le côtoyer quelques heures en 1995 avant leur déménagement au Colorado L

 

On verra bien ce que ça va donner mais je suis bien content de mon équipe.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (14)

Skidoo-dlidoo

Samedi 19 septembre 1998 : Bon, c’est fait. Je me suis arrangé avec mon père et Contant Skidoo à Laval pour qu’ils me mettent ma nouvelle fusée MxZ jaune sur l’avion le plus tôt possible. Comme le budget est assez limité de ce temps-là, j’ai dû m’en remettre à acheter uniquement un 440 mais ça va faire la job quand même. C’est assez surprenant tout de même, dans un milieu comme celui-ci, que cette petite fusée sera la motoneige la plus rapide du village. Je m’attendais à voir des 700 ou des 800 ici…mais non. Tant mieux, ma réputation de courseur ne s’en portera que mieux!   😉

 

Jacques, le mari de Véro, a également utilisé la même méthode mais il a dû se limiter encore plus : il a mis sur le même avion, un joli petit tape-cul Bravo de Yamaha. Je ne suis pas certain qu’il sache dans quoi il s’embarque…voyez-vous, le Bravo n’a pratiquement aucune suspension, on est assis à 12 pouces du sol pis Jacques doit bien mesurer 6 pieds…il va avoir les genoux dans le guidon, c’est certain! Mais bon, budget oblige, c’est mieux que rien.

 

Ça risque de prendre quelques semaines avant de les recevoir puisque Air Inuit va vouloir les mettre tous les deux dans le même avion et que ça prend pas mal de place. Bon, ya pas encore assez de neige de toute façon alors, on les prendra quand ils arriveront.

 

J’ai hâte!

À suivre…

Problème d’éthique

Quand j’ai commencé à écrire mes aventures au Nunavik il y a près de 12 ans, j’étais loin de me douter ou même de penser un jour les publier, que ce soit sur un blog ou encore moins en livre. J’écrivais donc alors les noms complets de toutes les personnes impliquées, ce que j’ai continué à faire dans mes fichiers personnels.

Mais, comme vous avez pu le constater, je n’ai donné, pour l’instant que les prénoms des personnes qui sont rencontrées dans la version blog de mon livre. Évidemment, pour les personnes elles-même, il est facile de se reconnaître…mais aussi pour plusieurs personnes impliquées de près dans l’histoire. Et là, le problème d’éthique se pointe à l’horizon.

Voyez-vous, en écrivant mes histoires comme je le faisais, je tenais à garder l’authenticité au maximum et que ce soit, à la limite, un document « historique » sans aucune censure. Il faut comprendre que même dans mes rêves, je ne voyais pas plus loin que d’imprimer mes histoires à quelques-uns de mes proches, une fois la rédaction terminée. Et ça n’aurait pas présenté de problème.

Mais voilà…il y a des « chapitres » qui s’en viennent qui sont particulièrement directs, crus, critiques, intimes, accusateurs, révélateurs, pour un auditoire averti, etc. Je vous le répète…je n’ai fait AUCUNE censure dans ma version personnelle…Et continuer à utiliser les vrais noms, ne serait-ce que les prénoms, n’est probablement pas très recommandable. Mais d’un autre côté, il me semble que ça perd de son authenticité…suis-je déjà rendu trop loin pour commencer à modifier les noms? Devrais-je sauter par-dessus ces chapitres pour ce blog?

Vos commentaires sont les bienvenus car….comment dire sans bruler de punch….la publication en format « livre » est peut-être plus proche qu’on pourrait le penser  😉 

Livre: Ma vie au Nunavik (13)

Lexique Inuktitut

Mercredi 16 septembre 1998: Voilà donc un mois que je suis arrivé à Kangiqsujuaq. Le temps file à une vitesse folle tellement je dois emmagasiner de nouvelles informations. Mais du même coup, l’adaptation n’est pas nécessairement facile. Si je la trouve difficile, avec ma capacité d’adaptation légendaire, j’ose à peine imaginer ce que les autres doivent vivre. Carlos en est un bel exemple. Le Carlos rieur, dynamique et enjoué de la mi-août a disparu. Il est devenu colérique et marabout. C’est souvent un signe assez évocateur.

De mon côté, je me donne toutes les chances d’apprendre les rudiments de l’Inuktitut puisqu’il s’agit clairement à mes yeux d’un début d’adaptation incontournable. Mon vocabulaire s’agrandit et je commence même à comprendre quelques concepts grammaticaux. 

Premièrement, ce que vous connaissez de la structure langagière du français, mettez-ça aux poubelles…inutile. L’inuktitut est en grande partie composé de mots de base auxquels ont ajoute préfixes, suffixes et infixes pour désigner qui parle, à qui on parle, de qui ou quoi on parle, etc. Par exemple, le corpus « tukisi » faire référence au verbe « comprendre ». En ajoutant « nngi » on désigne la négation donc « ne pas comprendre » et en terminant par « nama » on désigne la personne qui ne comprend pas, dans ce cas-ci, moi. Donc, « Tukisinnginama » veut dire « Je ne comprends pas ». Disons que ce mot est bien utile au début!

 

Voici quelques mots que j’ai mis dans mon ptit tiroir Inuktitut : 

-Ai :                             Allo;

-Aa :                            Oui;

-Auka :                        Non;

-Taima :                      Terminé ou c’est fini;

-Nakurmiik :             Merci;

-Ilaali :                         Bienvenue (dans le sens de « de rien »);

-Qanuipiit :                 Comment vas-tu?;

-Qanuingitunga :      Je vais bien;

-Kinauviit :                 Quel est ton nom?;

-Atsunai :                    Au revoir;

-Qatsi :                          Combien?:

-Alla :                            Tais-toi;

-Atai :                            Allez!;

-Ataata :                       Papa;

-Annana :                     Maman;

-Illai :                            C’est vrai!;

-Anguti :                       Homme;

-Arnnaq :                     Femme;

Bon, je ne vous pondrai pas tout mon dictionnaire mais ça vous donne déjà une petite base. Par ailleurs, pour la prononciation, il faut comprendre quelques concepts. Tout d’abord, sachez que les Inuit écrivent en syllabiques pour la plupart.

Par exemple :

 

veut dire Atai! (até)

 

Et contrairement à ce que même plusieurs Inuit pensent, les syllabiques ne sont pas Inuit du tout. Ce sont les missionnaires qui ont développé ce système qui fut adopté par les Inuit. Écrire l’Inuktitut avec l’alphabet commun est appelé « Qaliujarpait » et permet de lire et prononcer l’Inuktitut sans connaître le syllabique, qui soit dit en passant, est relativement facile à apprendre.

Mais il faut malgré tout connaître quelques règles de prononciation malgré l’usage de notre alphabet.

 

Par exemple :

 

-U        se prononce OU;

-Q        au début ou au milieu d’un mot se prononce R et se prononce K à la fin;

-NG     se prononce GN;

-J         se prononce Y;

-JJ       se prononce TJ;

Donc :

 

-Ulu                             se prononce Oulou;

-Uvunga                    se prononce Ouvougna;

-Kuujjuaq                 se prononce Koutjouak;

-Kangiqsujuaq        se prononce Kagnirsouyouak;

etc.

 

C’est une langue très musicale et on me dit déjà que j’ai appris la musicalité de la langue. Et il est évident que toutes ces petites choses facilitent mon adaptation et surtout mon acceptation par mes élèves. Ah mais oui…il faut savoir se faire accepter. C’est primordial. 

J’espère bien apprendre rapidement cette langue mais c’est assez compliqué sans référence. On verra bien.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (12)

Premières Évaluations

Mercredi, 9 septembre 1998 : Pour l’évaluation j’ai décidé d’y aller à 4 étapes valant 20% chacune et 20% pour l’examen de fin d’année car le Ministère laisse assez de marge de manœuvre à la commission scolaire à ce niveau. Pour chaque étape, je donne 25% pour les devoirs, 25% pour des mini-tests au cours de l’étape et un gros 50% pour les examens de fin d’étape (en 2 parties, sur 2 jours). 

Je ne veux pas partir un grand débat sur les devoirs car il est déjà assez grand partout sur la planète mais j’ai deux raisons pour leur donner des notes. Premièrement, un devoir étant un travail que l’élève fait par lui-même, il doit avoir un feedback sur ce qui ne va pas pour lui permettre de s’améliorer. Bien des enseignants donnent des devoirs mais ne les évaluent pas ou encore pire, ne les corrigent même pas. Je suis complètement en désaccord avec ça. Mais deuxièmement, des anciens me l’ont dit et j’ai été en mesure de le constater moi-même, si les devoirs ne sont pas évalués, les élèves ne les font tout simplement pas.

J’ai 2 types de devoirs. Il y a le mini-devoir, qui se fait généralement en moins de 15 minutes et ce que les élèves ont eux-mêmes baptisés les méga-devoirs qui peuvent prendre facilement une heure. J’essaie de ne donner qu’un seul méga par semaine pour l’instant car ils ne sont pas encore habitués à cette quantité de travail.

J’ai remis les copies corrigées du premier méga hier matin car ils avaient leur premier mini-test cet après-midi. Les notes du devoir varient entre 45% et 100%…mon ptit Tumasi a tout eu bon! Je m’attendais donc à quelque chose de potable lors du premier mini-test. Première constatation, ils étaient nerveux…était-ce bon signe? Je corrige les mini-tests et je reviens vous conter ça.

(…)

Bon. Pas si mal dans les circonstances. Meilleure note : Pasha avec 86%! Excellent! Mais ça baisse vite par la suite…70, 66, 61, 60, 55, 49, 47, 40, 29 et un beau 0 pour Naulittuq. Donc, moyenne de 51% (56% si on fait abstraction du beau 0). Honnêtement, je suis assez content pour une première. Comme je leur ai dit et qu’ils ont compris, les 90% pour tout le monde, c’est terminé ce temps-là!

Bon, Naulittuq. Je savais déjà qu’il avait de grandes lacunes mais là c’est une confirmation majeure. Et il s’est présenté, il a bûché toute la période et il a écrit plein de choses mais il n’a absolument rien compris. J’ai vraiment cherché pour lui donner des points mais rien à faire. Grosse tâche en perspective.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (11)

Questionner, questionner, questionner…

Mardi, 8 septembre 1998: Un des points qui m’apparaît de plus en plus évident avec mes élèves c’est qu’ils ne sont pas du tout habitués à se faire poser des questions dans le cadre d’une stratégie pédagogique. Ça implique évidemment qu’ils ne sont pas habitués à y répondre et encore moins à être confrontés directement à une réflexion momentanée. Disons que c’est pas mal primordial comme procédé d’apprentissage! Je suis toujours aussi surpris et enragé de voir ce qui s’est fait (pas fait) dans le passé.

J’ai donc décidé que j’allais pousser la stratégie au maximum…presque à l’exagération. Mais ils vont se développer à mesure. Je questionne donc tout le temps! Même pour des concepts de base : « Joanasie, pourquoi 2x + 5 + 3x = 5x + 5? »

L’idée ici étant évidemment de vaincre la peur initiale de répondre en y allant avec des choses simples. Et ça commence à fonctionner. Bon, il est clair que j’ai dû insister sur le fait que personne ne devait rire d’une mauvaise réponse, que tout le monde pouvait en faire, que les erreurs font partie de l’apprentissage, etc. Mais j’y arrive tranquillement.

Là où il y a encore beaucoup de résistance, c’est de donner une réponse autre que « Atsuuk » avec un petit haussement d’épaules. (Atsuuk, en bon québécois, ça veut dire « je l’sais-tu moé! » ou « je ne sais pas » pour les puristes). C’est une réponse traditionnelle chez les Inuit…on l’utilise à toutes les sauces. Quand on ne sait vraiment pas, quand on en a rien à foutre ou quand on préfère que la question soit posée à quelqu’un d’autre.

Par exemple, si je vais voir notre secrétaire Jaani pour lui demander quel est le numéro de téléphone d’une personne en particulier, il préférera me dire « Atsuuk » s’il ne connaît pas le numéro par cœur plutôt que de le chercher pour moi ou même me donner l’annuaire téléphonique du Nunavik. Non, il aime mieux que je m’arrange pour le trouver autrement.

Je ne crois pas que ce soit malicieux mais plutôt une véritable habitude qui est ancrée au plus profond de leur culture. Un peu comme plusieurs personnes ont la malheureuse habitude de dire immédiatement « quoi? ou hein?» quand on leur pose une question même s’ils ont très bien compris.

Mais bon, pour les élèves ça avance. Disons que le moment où eux seront assez à l’aise pour me poser des questions est encore loin à mon avis, mais une étape à la fois. 

À suivre…

 

Livre: Ma vie au Nunavik (10)

Évaluation frauduleuse

Mardi, 1er septembre 1998: Ce matin, j’ai confirmé plusieurs de mes doutes. Petit retour en arrière pour expliquer. À mon entrée à l’école, le directeur, Lukasi, m’avait remis la liste de mes élèves ainsi que leurs niveaux et leurs programmes mathématiques respectifs. Il était évidemment bien mal aisé pour moi à ce moment-là de questionner l’information. J’ai pris les papiers, me suis fait des photocopies des bulletins de tous mes élèves pour les 3 années précédentes et j’ai tout mis ça dans un dossier de mon classeur sans vraiment les scruter à la loupe.

Or, quand j’ai monté mon fichier d’évaluations des élèves pendant le week-end, j’ai eu besoin des codes de cours. C’est donc à ce moment que j’ai ressorti tous les bulletins. Et je suis tombé en bas de ma chaise!

Tous les élèves qui m’étaient confiés cette année pour que je leur donne le cours Maths 514, avaient tous réussi, selon les bulletins, le cours de Maths 416 avec un minimum de 81% comme note finale! Oui oui, 81% pour le « pire » élève! Ça ne fonctionnait pas du tout. Absolument, mais alors là, absolument i-m-p-o-s-s-i-b-l-e!

Pour ceux qui ne connaissent pas, le cours de 416 comporte plusieurs concepts comme les modèles géométriques, l’algèbre (Résolution de problème, factorisation, systèmes d’équations, etc…) et toute une section sur la trigonométrie (j’en passe). Mais alors, comment des élèves ayant supposément obtenu au moins 81% dans un cours semblable peuvent-ils avoir tant de lacunes sur des concepts mathématiques de base qu’ils auraient nécessairement dû maîtriser pour obtenir des notes de cet ordre? La réponse m’apparaissait très claire…mais je tenais à vérifier tout ça et c’est ce que j’ai fait ce matin.

J’ai regroupé tous mes élèves en avant du tableau principal (ayant deux niveaux différents dans ma classe, je me dois de séparer le groupe en deux, avec 2 tableaux et je fais l’aller-retour entre les deux). Puis, je leur ai demandé de me trouver la réponse à ce que j’écrivais au tableau.

Première question : √16?  Tout ce que j’ai vu pendant 2 minutes, c’était 10 petites faces de ce genre   😯

Aucune réponse. J’ai donc demandé : « Qu’est-ce qui se passe? Personne ne connaît la réponse? ».

La seule qui a « osé » dire quelque chose, c’est Leah. « Qu’est-ce que ça veut dire le « √ » ?   Ayoye! À mon tour d’avoir l’air de   😯  !!!

Vous n’avez jamais vu ça? C’est le symbole de la racine carrée…ça vous dit quelque chose non?

Toujours  😯  !!!

Ah ben calvaire…J’ai continué comme ça pendant 30 minutes!  Sinus, cosinus, tangente, connaissent pas. Factoriser 3x+6, savent pas quoi faire. Résoudre 2x+5 = 13, incapables. Pente, volume, médiane, bissectrice, arête, produit, puissance…bien plus que des mots inconnus, ce sont des concepts qu’ils n’ont jamais, au grand jamais, abordés dans leur vie!

Expliquez-moi donc maintenant comment on peut se retrouver avec 81% ou plus dans un cours de Maths 416 dans ces circonstances? Bien facile à comprendre…on fraude! Et là, je ne parle pas de « petite fraude » où un prof change la note de 57% à 60% dans le bulletin! C’est de la fraude à grande échelle! Non seulement on fraude par les notes…on fraude par les évaluations, on fraude par le contenu, et surtout, au bout du compte, on fraude les élèves! Et là, je trouve ça littéralement criminel!!! Et je pèse mes mots!

Quand on commet de telles horreurs, c’est la vie de l’élève qu’on détruit. Pendant tous leurs parcours scolaires, ils ont fait du sur-place en se faisant dire, par les évaluations et promotions (mais j’imagine aussi que ça se faisait verbalement) qu’ils étaient bons en maths! Mais quelle horreur! Imaginez leurs têtes quand je leur ai montré les programmes qu’ils auraient dû suivre, les livres qu’ils auraient dû utiliser, les concepts qu’ils devraient maîtriser facilement…et que je leur ai fait comprendre qu’ils ont été trichés par le passé. Ça n’a pas été facile, croyez-moi!

Mais, tous ensemble, nous nous sommes mis à parler, en table ronde. Et je leur ai dit clairement : « Je vous promets, que si vous êtes prêts à travailler fort, je vais vous permettre de rattraper beaucoup de ce que vous avez perdu. Mais comprenez bien ceci : les grosses notes, c’est terminé pour un bon ptit bout de temps. Je veux même que vous essayiez de les oublier. On va se concentrer sur l’amélioration. Si vous avez 30% lors de la prochaine évaluation, ce n’est pas grave! Ce qu’il faut, c’est de viser 35% pour la suivante. On va y aller tranquillement et on va y aller tous ensemble. Je vous jure que tant que vous allez être avec moi, vous allez avoir la vérité! On se met au travail ensemble? »

Et vous savez quoi? Non seulement ont-ils tous dit oui de façon très énergique mais ils ont tous quitté la classe avec un grand sourire, sur les lèvres et dans les yeux! J’ai vraiment espoir…on verra bien.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (9)

Mes élèves

Vendredi, 28 août 1998 : J’ai clairement de très bons élèves dans mon groupe de secondaire 3-4-5. Évidemment, quand je dis « bon » c’est relatif. Il y a Joanasie qui, malgré une hyperactivité somme-toute contrôlée, est très intelligent. Comme on dit, il a la bosse des Maths.

Salamiva et Dallacy (qui vient d’Aupaluk) travaillent sans demander leur reste, sourient tout le temps et ne dérangent jamais.

Leah est aussi très intelligente, très gênée par ailleurs, mais elle se laisse facilement distraire par les autres, surtout son cousin Joanasie.

Qipitaq est toujours marabout mais faut dire que presque tout le monde de sa famille est comme ça, ce n’est donc pas surprenant.

Naulittuq vient d’Ivujivik. Il est rieur et farceur mais peut facilement s’enrager. Il a aussi clairement de très grandes carences au point de vue des apprentissages, il n’a acquis aucune habitude de travail pendant toutes ses années d’étude à Ivujivik et est plutôt perdu. Je vais devoir faire beaucoup de rattrapage avec lui si je veux arriver à quelque chose.

Willie me fait peur. Pas que je suis inquiet pour ma sécurité…disons que j’en impose pas mal. Mais honnêtement, je ne sais pas c’est quoi mais il y a quelque chose de torturé et de malsain au fond des yeux. C’est une des étoiles de l’équipe de hockey du village…et quand je dis « étoile » je veux vraiment dire que les autres le voient comme la Star. Il est facilement maussade et difficile à faire travailler. Bon, il peut être très poli mais je devrai le garder à l’œil, j’ai l’impression qu’il pourrait me pèter toute une crise un jour.

Tumasi est timide et réservé. Il semble par ailleurs avoir lui aussi passablement d’aptitudes en mathématiques.

Elaisa est la plus ricaneuse du groupe. Elle rit souvent et elle rit fort! Elle aime les blagues et elle est capable d’autodérision…excellent! Je crois même qu’elle comprend l’ironie et le sarcasme, même en français, faut le faire! Passablement de lacunes académiques cependant.

Pasha, c’est ma perle! Toute douce, toujours souriante, toujours polie, elle dit toujours bonjour, s’il-te-plaît et merci et elle travaille bien malgré plusieurs lacunes elle aussi.

Finalement, le dernier et non le moindre, Jimmy est vraiment la brute. On ne peut pas le contrarier sans que son visage se donne des airs de tueur en série. Pour ceux qui connaissent, il imite constamment Stone Cold Steve Austin de la WWE qui est un personnage justement brutal, qui envoie promener son patron jusqu’à s’en prendre physiquement à lui, se bat contre toute forme d’autorité ou de structure et qui fait tout comme il le veut! Mettons que s’il ne comprend pas que Stone Cold est un personnage et qu’on ne peut pas agir ainsi à l’école envers les autres, qu’ils soient des élèves, des profs ou la direction, on va avoir de sérieux problèmes! Pis évidemment, ce qui n’aide pas, c’est qu’il présente lui aussi de graves lacunes académiques. Ouf! Sera pas facile celui-là.

Ma deuxième partie de tâche est en formation générale à l’Éducation des adultes. J’ai eu à faire de la publicité dans le village pour attirer les personnes ayant décroché…et j’ai complété les inscriptions aujourd’hui. Pas grand monde pour l’instant : Uquutaq, Louis, Aparta, Alaku et Sapina. On verra bien lundi pour leur niveau académique car je dois leur faire passer un test de classement.

 À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (8)

Ténacité linguistique

Mercredi, 26 août 1998: Avez-vous idée à quel point il peut être compliqué d’arriver à un consensus sur la langue d’usage pour une réunion du personnel comptant une bonne trentaine de gens dont les langues maternelles sont respectivement l’Inuktitut, le Français et l’Anglais?

Évidemment, dans notre contexte, il est absolument hors de question que la réunion ne soit pas en Inuktitut et c’est bien normal. Mais il est aussi évident qu’elle ne peut pas se tenir uniquement en Inuktitut puisque près de la moitié du personnel ne comprendrait rien. Il faut donc traduire dans une autre langue. Mais alors? On y va en Anglais ou en Français? Et bien…ça me semble évident…les deux! Ben oui! Si on se sent obligé de la faire en Inuktitut en raison d’un contexte culturel, pourquoi est-ce que les anglophones n’auraient pas le droit à leur langue maternelle? Et les francos? Même chose!

Et pourtant…tout le monde dans la salle comprend assez bien l’anglais pour pouvoir suivre. Mais non. Ça ne se fait pas. Tout le monde tient son bout. Je viens donc de me taper une géniale réunion du personnel de 90 minutes après l’école parce que tout ce qui s’est dit pour les deux seuls points à l’ordre du jour de la réunion devait être traduit dans les 3 langues!

Ce n’est pas rien…Pensez-y un peu. On présente le point en Inuktitut, la présentation est traduite en français puis en anglais. Mais là, quelqu’un a une question qu’il pose en anglais. On la traduit en Inuktitut puis en français. Réponse à la question? Même chose!…… C’est d’une efficacité sénatoriale mes amis!

Il n’y a qu’une seule chose qui n’est pas traduite dans ces rencontres : la traditionnelle et obligatoire prière en Inuktitut au début de n’importe quelle rencontre, peu importe sa nature. Mais bon, ça, c’est un autre sujet et j’aurai amplement l’occasion de vous parler de religion, je le sais déjà.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (7)

Mes criss de boîtes

Mardi, 25 août 1998: Et bien finalement! Ça fait 10 jours que je suis ici et je viens juste de recevoir mes boîtes d’effets personnels! Mettons qu’il était temps!

Mais le pire dans tout ça, c’est que j’ai appris de façon assez raide comment ne pas envoyer des boîtes par l’avion. Je me pensais bien fin moi-là en allant chez un grossiste en informatique pour me dénicher des boîtes servant à l’expédition d’ordinateurs de bureau. Vous savez, disons 45x45x45 cm? Je me disais que c’était des boîtes solides et que je pourrais mettre tout mon bazar dans 10 ou 12 boîtes plutôt qu’avoir à me taper une quarantaine de petites boîtes d’épicerie.

Quel con! Ce que j’avais oublié, c’est que les boîtes d’ordinateur sont peut-être solides…mais c’est surtout à cause du styromousse qui s’y trouve! Or, je n’ai évidemment pas laissé ça dedans avant de mettre mes affaires…résultat? Beaucoup d’items de toutes formes et grosseurs dans une grosse boîte, ça laisse de l’espace libre…et en avion, particulièrement chez Air Inuit, les boîtes…elles se font bardasser sur un moyen temps!

Elles sont presque toutes arrivées écrasées, déchirées, mouillées…et plusieurs de mes effets ont été endommagés : bosse sur ma petite télé, magnétoscope foutu, vaisselle cassée, documents papiers déchirés…mettez-en!

Alors, qu’est-ce qu’on a appris là mon Frank? Petites boîtes, livres rigides sur tous les côtés des boîtes pour protéger en cas d’impact, mettre les effets qui ne doivent pas se faire mouiller dans un sac de plastique avant de les mettre dans les boîtes…et surtout…prendre l’assurance « tous risques »!

Me reprendrons pas deux fois les maudits! Surtout que là, j’ai bien pensé à mon affaire et je vais m’acheter un Skidoo à partir du Sud et le faire monter par avion avec ce qui me reste d’allocation d’effets personnels, ça va me coûter beaucoup moins cher que de l’acheter ici surtout qu’ils ont juste des ptits modèles pépères…ça me prend absolument mon MxZ moi-là, autrement j’vais mourir!

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (6)

Trouver l’odeur

Jeudi, 20 août 1998: Après ma troisième nuit dans mon nouveau chez-moi, j’avais trouvé qu’il y avait une drôle d’odeur en me levant. Assez difficile à identifier, j’avais cherché à en trouver la source, allant surtout vérifier dans la cage d’escalier mais je n’avais rien trouvé.

Mais là, ce matin, l’odeur était pas mal plus intense. Un mélange de « ptits pieds », de sac à vidange et de « ram-tatam » comme disait ma mère dans l’temps. Je ne suis pas le genre à me laisser déranger par de petites choses comme des odeurs désagréables peu intenses mais là, c’était vraiment rendu insupportable et répugnant. Bref, fallait vraiment que je trouve ce que c’était. On pourrait penser que la source d’une odeur est facile à trouver mais j’vous dis, c’était tellement intense que ça traversait les murs, ça sentait vraiment partout. Et bien, mes chers…j’ai trouvé! Et oh! Quelle surprise!

J’ai procédé par recherche vraiment systématique. Une pièce à la fois, pied carré par pied carré. Déplacé tous les meubles, vérifié toutes les bouches d’aération, inspecté tous les garde-robes…jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un endroit possible. Voyez-vous, en plus de garde-robes dans les deux chambres, j’ai également un espèce de « walk-in » avec de grandes tablettes et un petit congélateur. Et bien, c’est là que j’ai fait la découverte.

Derrière le petit congélateur, dans un grand sac de poubelle fermé au moyen d’un gros élastique à brocoli, j’ai trouvé…une jambe!!! Bon, on se calme, ce n’était évidemment pas la jambe d’un homme qu’on avait coupée et laissée là parce qu’elle n’entrait pas dans le congélo avec le reste du corps! Voyons donc!

Non, non, il s’agissait d’une jambe de caribou, évidemment! J’ai fini par comprendre que mon prédécesseur dans le logement, Éric, était parti pas mal précipitamment et qu’il avait oublié le beau morceau de viande qu’il était allé se chercher dans le congélateur municipal.

Alors, ça faisait maintenant 7 jours que le caribou « s’attendrissait » bien au chaud collé sur le compresseur du congélateur de mon appartement! Je peux juste vous dire qu’en ouvrant le sac, j’ai eu une sympathie immédiate pour les médecins légistes!!!

Un gallon d’eau de javel et 5 heures avec 3 ventilateurs à pleine puissance orientés vers les fenêtres ouvertes plus tard et je viens à peine de retrouver une odeur à peu près normale!

À suivre… 

Livre: Ma vie au Nunavik (5)

Kangiqsujuamiut-3ième partie

Mardi, 18 août 1998: J’ai parlé à Lukasi pour voir ce que je pourrais faire pour l’Éducation des adultes et il convient de me donner une semaine avant de commencer les cours. D’ailleurs, je dois faire le recrutement avant de pouvoir enseigner car les élèves ne sont pas inscrits. Ça va au moins me donner un peu de jeu pour cette partie de ma tâche.

Petit tour dans la classe de Véronic avant de partir à la maison pour préparer mes cours. Elle semble vivre le même problème au niveau du matériel. Je lui raconte l’histoire des programmes allégés et de Jean. Elle me dit qu’elle n’a pas eu une très bonne première impression de lui non plus. On verra bien.

 

Vue du « terrain de golf », au milieu, vous voyez mon quadruplex (j’habite en haut à gauche) et l’école Arsaniq (ça veut dire Aurores Boréales) juste en arrière.

 

 

Je quitte donc l’école à 18h30 avec mes livres de maths et de sciences pour me lancer dans une belle soirée de préparation…toujours avec ma brosse à dent et mon linge sale puisque je n’ai pas eu le temps d’aller à la Coop pour m’acheter quoi que ce soit et que mes boîtes et Air Inuit jouent toujours à la cachette avec moi.

Ce n’est qu’à 1h00 du matin que je me sens assez à l’aise avec le programme pour pouvoir enseigner au moins une période. On verra demain soir pour le lendemain!

À 9h30 le mercredi, tous les élèves se pointent au gymnase. Tous les profs sont présentés un par un et ils montent dans leur classe avec leurs élèves, qu’ils ont également nommés un par un, ce à quoi ceux-ci ont réagi en riant de bon cœur en raison de la prononciation des ptits nouveaux! Personnellement, n’étant pas titulaire, je n’ai pas eu à faire rire de moi. Finalement, aucun enseignement n’aura lieu aujourd’hui. J’aurais bien aimé le savoir avant mais bon. Il a été décidé que les élèves rencontreraient leurs profs et qu’ils reviendraient demain pour commencer les cours. Je vais donc avec Véronic puisqu’elle est titulaire de mes élèves. Je me présente et leur demande de venir dans ma classe quand ils auront terminé avec elle.

Nous faisons finalement connaissance et je me rends compte que je n’aurais probablement pas fait rire de moi car ma prononciation semble être acceptable aux yeux de mes élèves.

En maths, mes élèves sont Elaisa et Pasha qui feront le programme 314…

Une autre preuve que le monde est petit, Pasha est la sœur de Charlie chez qui j’ai été hébergé pendant mon séjour à Salluit (oui oui, celui qui m’a fait mangé un oeil de phoque!). Elle était très heureuse quand je lui ai dit ça. Ça m’a d’ailleurs permis d’établir un lien avec Pasha dès cet instant.

et les autres seront en 514 soit : Salamiva, Qipitaq, Dallacy, Joanasie et Leah, (ces deux derniers étant les neveu et nièce de Lukasi) Jimmy, Tumasi, Willie (fils d’Annie et Mark) et Naulittuq. Parmi eux, Naulittuq, Qipitaq, Joanasie, Leah, Jimmy et Willie seront aussi avec moi en Sciences Physiques.

Le premier contact est intéressant bien que plutôt court. Malgré tout, je peux déjà tirer certaines conclusions : Joanasie est le clown hyperactif du groupe et Jimmy est le leader négatif. S’il y a un « bully » dans le groupe, c’est lui, sans aucun doute. 

Et bien voilà, c’est un départ! Le premier pas est fait dans ma carrière auprès des Inuit du Nunavik!

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (4)

Kangiqsujuamiut-2ième partie

Lundi, 17 août 1998: À 4h00, ma nuit est terminée. J’aimerais bien pouvoir aller à l’école, commencer à défricher ma classe mais bon, je ne veux pas passer pour un maudit fou non plus. Heureusement, je n’ai pas la clé. Ça règle donc le problème.

Finalement, je me pointe à la porte de l’école à 7h55 et j’y suis vite rejoint par Carlos, Guylaine, Johanne et Véronic. Toute la gang de nouveaux quoi. Disons qu’on est tous un peu stressés. Après tout, les jeunes entrent mercredi et on n’a rien de prêt!

Lukasi nous ouvre la porte à 8h00 comme prévu. Déjà un choc, l’école est d’une propreté de musée. On pourrait littéralement manger par terre!(Les Inuit sont habitués à manger par terre, serait-ce relié?) D’ailleurs, une pancarte est bien en vue à l’entrée et dans les trois langues : « Enlevez vos bottes et souliers! ». On se rend tous au salon du personnel. Impressionnant! Deux grandes tables avec une vingtaine de chaises, une quarantaine de pigeonniers, deux photocopieurs, un grand tableau, des babillards en profusion, un petit coin relaxation avec plusieurs fauteuils en cuir, des armoires à perte de vue, un frigo, lavabo et deux machines à café. J’ai vu des écoles au Sud qui n’étaient pas si bien équipées!

Les autres enseignants entrent petit à petit. Jean et Jeanne  qui enseignent au secondaire anglais depuis 5 ans. Pierre qui enseigne un peu de tout, particulièrement les sciences sociales au secondaire français depuis 7 ans. Pierre est dans le Nord depuis une bonne dizaine d’années. Il était à Ivujivik avant et ne travaillait pas comme prof. Il a occupé plusieurs postes là-bas fort de son doctorat en géographie. Il a eu une fille, Siasi, avec sa première femme, à Ivujivik. Siasi est ici en secondaire 2, elle sera donc mon élève l’an prochain. Pierre a aussi eu un fils, Adamie, avec Jessica, sa deuxième femme, ici à Kangiqsujuaq. Adamie est au primaire. Pierre n’a aucune formation en pédagogie mais il est devenu enseignant quand les besoins sont devenus criants. Marion est enseignante à l’éducation des adultes du côté anglais. Elle a un nouveau chum Inuk nommé Yaaka et elle est ici depuis 2 ans. Ça fait le tour des enseignants Qallunaat.

Du côté des Inuit, il y a Sarah en maternelle, Alacie en première année, Arnaujaq en deuxième année, Taqa technicienne en langage des signes, Hanna en troisième année, Ulaayu, sœur de Lukasi, en religion, Eyuka en Inuktitut, Jimmy en éducation physique, Kullutu comme conseillère aux élèves, Mark comme Directeur de centre, sa femme Annie comme conseillère pédagogique aux enseignants Inuktitut, Maggie et Jessica (femme de Pierre) qui développent du matériel et le dernier et non le moindre étant Jaani, le secrétaire de l’école.

Pierre nous fait faire le tour de l’école. Toujours aussi propre d’un bout à l’autre. Ma classe est à l’autre bout de la nouvelle section du secondaire construite il y a à peine 4 ans. Je serai voisin de Pierre. Ça me rassure de pouvoir être près de cette expérience, d’ailleurs il sera mon superviseur de probation.

Je fais le saut en fouillant un peu ma classe. Il n’y a rien! Seulement quelques vieux livres de Mathématiques Soleil qui doivent bien avoir 10 ans. Selon la liste des élèves que Lukasi m’a donnée, la majorité devront suivre Maths 514…ouf, je vais devoir me débrouiller avec ça. De plus, aucun signe de quelque matériel que ce soit pour les maths 314, pour sciences physiques ni pour l’éducation des adultes! Ben voyons!!! Je fais quoi moi là???

Je passe l’avant-midi à chercher du matériel. Je questionne tout le monde, aucune idée. Non seulement on ne peut pas m’aider mais on ne semble pas surpris que je ne trouve aucun matériel. C’est apparemment la norme à Kativik. Je trouve bien quelques vieux cahiers photocopiés intitulés « programme Kativik » mais ce ne sont que des exercices à répétition sur les quatre opérations. Et pourtant, c’est bien écrit que ce matériel s’adresse au programme de secondaire 3! Non mais c’est quoi cette merde???

Jean, qui enseigne les mêmes matières que moi en anglais fini par me dire que Kativik avait décidé d’alléger les programmes pour permettre aux élèves de réussir plus facilement. Oui mais, est-ce que le but visé n’est pas de les faire graduer pour ensuite leur permettre d’aller faire leurs études collégiales à Montréal? Si tout est allégé comme ça, qu’est-ce qu’on leur met comme code sur le bulletin? Jean me dit qu’on met les codes normaux.

Ben voyons donc tabarnak, on leur met Maths 514 sur le bulletin mais ils font des multiplications pendant toute l’année???? Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fous là??? Jean me dit que nous n’avons pas le choix, que les élèves ne sont pas capables de faire plus que ça.

Je ne peux pas croire ça. C’est absolument inconcevable. Surtout pas en mathématiques! Je veux bien croire qu’ils ont de la difficulté avec le langage mais pourquoi auraient-ils autant de faiblesses en mathématiques? Ça n’a pas de bon sens. J’ai vu des immigrants chinois dans mon bacc en maths fondamentales à l’Université de Montréal qui débarquaient avec à peine 10 mots de français mais qui clanchaient tout le monde en maths.

J’ai l’impression que quelqu’un s’est planté royalement avec ces « programmes allégés Kativik ». Je ne toucherai pas à ça. Pas question! Mes élèves vont travailler fort mais je vous jure qu’ils vont apprendre les vrais contenus des cours. Je comprends très vite que Jean et moi ne seront jamais complices parce qu’après à peine 20 minutes de discussion avec lui, je me rends vite compte qu’il se fout éperdument de ça. Pire, j’ai même peur qu’il en soit le promoteur.

Je trouve finalement, dans le fond d’une armoire et dans une boîte toujours scellée, 30 manuels (15 tome1 et 15 tome2) complètement neufs de Réflexions Mathématiques des éditions CEC.  Des livres à jour, tout chauds sortis de l’imprimerie. À force de poser des questions, je comprends que le matériel Carrousel et Réflexions a bénéficié d’un budget spécial pour en équiper toutes les écoles mais qu’il n’était pas utilisé. Non mais bravo! Disons 30 manuels par école, 14 écoles, à quelques $60 par manuel, c’est juste $25000 qui dort dans les armoires.

Les manuels pour maths 314-416-514 et 536 dans les deux langues, en plus des guides de l’enseignant arriveront aussi dans les écoles dans les années ultérieures sans pour autant être utilisés, sinon à Kangiqsujuaq. C’est une somme absolument abominable qui est gaspillée ici.

Je trouve aussi, mardi après-midi, cachés dans un coin, une dizaine de copies pour chacun des trois volumes de la série En Quête qui couvre le programme de Sciences Physiques 416-436. J’ai donc le matériel dont j’ai besoin pour commencer à enseigner…demain! Yé!

À suivre…           

Livre: Ma vie au Nunavik (3)

Kangiqsujuamiut-1ère partie

Dimanche midi, le 16 août 1998. J’arrive enfin chez moi. Je suis maintenant un Kangiqsujuamiut (habitant de Kangiqsujuaq). Je suis accueilli par Éric. Il est animateur à la résidence pour étudiants. C’est lui qui habitait dans le logement que je vais maintenant occuper qui est au deuxième étage d’un quadruplex. Deux logements en haut et deux en bas. Par chance, j’ai obtenu le logement le plus à l’Ouest.

Lukasi, le nouveau directeur de l’école que Gaston a entraîné, vient nous dire bonjour. Il nous souhaite la bienvenue et nous donne rendez-vous à 9h00 demain matin. Il nous indique par contre qu’il y sera dès 8h00 si on veut entrer avant.

Ce sera bien la seule et unique fois en quatre ans que Lukasi sera présent à l’école à 8h00!!!  🙂

Après les mondanités d’usage, je le questionne à savoir où sont mes boîtes d’effets personnels. Boîtes que j’ai envoyées il y a 12 jours déjà. Et bien oui, vous l’avez deviné, aucune trace de mes boîtes. Je me retrouve donc dans mon grand cinq et demi complètement vide, la veille du début de ma nouvelle carrière et je n’ai qu’un petit sac à dos plein de linge sale, une brosse à dent, un fond de Speed-stick et un chèque de 55$ pour les per-diem de la semaine d’orientation! Belle affaire! En plus, pour bien faire, la Coop et le Northern, deux magasins généraux du village sont évidemment fermés. Je n’ai même pas droit à un rideau de douche!

Les meubles fournis par la CSK sont disparates et vieux. Le meuble qui est sensé soutenir ma télé est brisé. La planche du dessus ne compte plus qu’une seule vis. Le sofa et le fauteuil sont tous les deux défoncés mais curieusement confortables. Bon, ce n’est pas le Château Frontenac mais au moins c’est chez moi. Et Oh! Quelle vue mes amis! D’une des fenêtres de salon, j’ai une vue de la baie de Wakeham, qui donne son nom anglophone au village. De l’autre fenêtre, qui fait au bas mot 8 pieds de large, je vois une grosse montagne qui semble être à moins d’un kilomètre. Et en observant un peu mieux, je me surprends à pouffer de rire. Je vois, juste de l’autre côté de la rue, plusieurs jeunes qui jouent au golf! Ils sont tous agglutinés autour d’un véritable fanion de golf et font des coups roulés! Bon, imaginez faire un coup roulé sur la rue Notre-Dame à Montréal pendant la période de dégel et vous n’êtes même pas proches des conditions de putting que je vois là. Mais ma plus grosse surprise c’est de voir un des jeunes ayant callé son putt s’installer un peu plus loin, mettre sa balle sur un tee et de s’élancer avec un bois 1 résultant en un très bon coup de facilement 200 verges!

Ayant joué très longtemps au golf, atteignant même 7 d’handicap, remportant une médaille de bronze aux Jeux du Québec de 1988, ça me fait vraiment tripper de voir ça parce qu’en plus, je vois bien qu’il y a 9 fanions plantés un peu partout dans la plaine. Et comme il n’y a pas d’arbres, on peut décider d’aller à n’importe quel trou qu’on veut à chaque fois. C’est donc le terrain idéal, on peut se faire une petite normale 3 d’à peine 100 verges ou bien jouer les extrêmes et se faire une normale 5 bien arrosée à 500 verges! Faut bien venir vivre à 1800 km au nord de Montréal pour voir ça!

Bon, le golf c’est bien beau mais je fais quoi moi là? Je n’ai absolument rien et je commence demain matin. Comme si le destin avait vraiment tout fait pour que Véronic et moi devenions de bons amis, elle est aussi ma voisine de pallier et vient voir si mon logement est mieux que le sien. Bref, ce sont des logements miroirs. Le sien étant aussi « bien » équipé que le mien. Le logement en dessous de chez-moi est vide pour l’instant. Celui sous Véronic est occupé par Roland, qui est aussi animateur à la résidence. Drôle de bonhomme. Dans la quarantaine avancée, arborant une barbe énorme, c’est clairement un gars qui aime blaguer et son rire est très communicateur. Un peu beaucoup macho sur les bords mais bon, dans le genre, j’ai déjà vu et je peux en rire car il ne se prend pas au sérieux.

Après avoir mentionné à Véronic mon aventure au sujet des boîtes, nous sortons pour aller voir les alentours et la chaîne commence. Si bien que je me retrouve rapidement avec assez de nourriture pour souper et un petit dessert maison que m’ont apporté Patrick et Annick, vous l’aurez tous deviné, une petite Vietnamienne! Ils sont arrivés hier et n’ont pas fait l’orientation car ils ont enseigné l’an passé à Kuujjuaq. Il y a aussi Chris et Tracey, un couple qui enseigne ici depuis 2 ans. Chris semble sympathique et a tout du « alpha male ». Tracey est très jolie, délicate et très gênée. Je me demande déjà ce qu’elle peut bien faire à enseigner ici. Ils viennent d’avoir une petite fille nommée Allison, tout le portrait de sa mère.

La reconnaissance des alentours me permet de voir que je suis littéralement à 20 secondes de marche de l’école. Bon, disons qu’à l’heure de pointe ça pourra m’en prendre 24! Tous les profs semblent être logés sur la même rue. Ça fait un peu ghetto mais bon. J’imagine que ma vie sociale va se limiter à cette rue pour les premiers temps du moins.

On est tous voisins mais au moins, on n’a personne en face. Il n’y a que le terrain de golf et, pour agrémenter le paysage, le dépotoir du village à moins d’un kilomètre du côté gauche. Non mais, c’est qui l’épais qui a décidé de mettre le dépotoir si près du village et à la vue de tout le monde? Ya pas assez de place ici? Faut croire qu’il y a des « tarlas » partout, même au Nunavik.

J’apprendrai plus tard que le dépotoir a même déjà été plus proche encore et qu’on venait de le déménager. L’ancien emplacement du dépotoir est maintenant…un cimetière!!!

On m’invite à socialiser avec plusieurs profs mais je n’ai vraiment pas le goût. J’ai envie de me retrouver seul chez moi avec mon linge sale et ma brosse à dent. On aura certainement beaucoup d’autres occasions. Je me couche à 19h00, je suis brulé.

À suivre…

Livre: Ma vie au Nunavik (2)

C’est un départ

(***Essai de couleur…)

Lundi, 10 août 1998, 9h30, j’embarque dans le 737 de First Air à Dorval, direction Kuujjuaq. Avec cette longue période dépressive, j’avais atteint le plateau hallucinant des 340 livres. Peut-être avez-vous déjà trouvé que vous étiez tassés dans un avion. Imaginez à 340 livres. Bref, je prends place à mon siège désigné…horreur, je ne rentre pas dedans! Après 3 minutes à rougir et à retenir mes larmes, je demande à l’hôtesse si c’est possible de changer de siège pour un où les appuis-bras se lèvent afin que l’hippopotame puisse s’asseoir. Je sens que je la dérange. Clairement, elle n’éprouve pas d’empathie pour ma situation. Évidemment, elle ne pouvait savoir que sans un certain coup de téléphone donné 6 semaines auparavant, c’est possiblement plutôt dans un cercueil que mon gros cul aurait eu de la difficulté à entrer.

Finalement, elle me dit qu’elle pourra me donner son siège après le décollage mais que je devrai être au milieu en attendant. Je change donc de place la tête baissée et je m’installe à côté d’une petite brunette frisée. C’est clair, je la dérange, elle aussi. J’essaie de me faire le plus petit possible mais je suis extrêmement mal à l’aise. Pourtant, 10 minutes plus tard, c’était le début d’une des grandes amitiés de ma vie :

« Bonjour, tu travailles à Kuujjuaq? »

« Non, je suis une nouvelle enseignante pour la Commission scolaire Kativik. Je m’en vais à Salluit pour une semaine d’orientation. »

« Ah oui? Wow, même chose pour moi! »

« Le monde est ptit. Moi c’est Véronic, toi? »

« François, enchanté. Tu vas enseigner dans quel village? »

« Kangiqsujuaq. »

« Hein? Tu me niaises, moi aussi!!! Super! »

«Je vais enseigner le français au secondaire, deux groupes, 1-2 et 3-4-5, toi? »

« On va avoir les mêmes élèves parce que je dois enseigner les mathématiques et les sciences physiques aux 3-4-5 en plus de l’Éducation des Adultes. »

C’est comme ça que tout a commencé entre Véro et moi. J’apprends qu’elle monte seule et que son mari, Jacques, un alsacien d’origine, va la rejoindre à Kangiqsujuaq dans quelques semaines.

On continue à jaser une fois rendus à Kuujjuaq parce qu’on doit attendre un autre avion, un HS748 d’Air Inuit cette fois, pour se rendre à Salluit pour notre semaine d’orientation. On rencontre également Carlos et Guylaine, un couple d’enseignants et Johanne qui vont tous également enseigner à Kangiqsujuaq. Ça risque d’être pas mal intéressant d’être un petit groupe de nouveaux. Au moins on va pouvoir partager plusieurs des mêmes difficultés.

Carlos a évidemment des racines latines, du Guatemala si j’ai bien compris. Tout comme Guylaine, son expérience d’enseignement est assez limitée. Par contre Johanne a plusieurs années d’expérience derrière elle. Son conjoint, Robert et leur fils William doivent les rejoindre là-bas. Pas mal sympathiques au premier abord.

Comme le vol en 748 se fait à une altitude beaucoup plus basse que le 737 (10000 pieds plutôt que 33000) et que le temps est beau, je peux facilement distinguer le sol du haut des airs. La fameuse toundra. Disons qu’on est loin des champs de lavande ou de coquelicots de la Provence! C’est d’un magnifique…brun! J’y vois quelques lacs. À moins que ce ne soient des flaques d’eau? Mais surtout, je vois plusieurs amas de neige qui ne sont pas encore fondus. Ouf, encore de la neige le 10 août? Ok, je comprends assez rapidement qu’il n’y a que 3 saisons au Nunavik : l’hiver, après l’hiver pis avant l’hiver. Et les deux dernières doivent durer quelques semaines tout au plus! Mais bon, ça tombe bien, j’adore l’hiver. Disons que c’est assez primordial pour décider de venir vivre ici non?

Arrivée à Salluit. On nous entasse tous dans un autobus scolaire et on descend une côte, de l’aéroport jusqu’au village, qui doit être à 30%. Pas de farce! J’ai jamais eu si peur en autobus. En plus, ya une grande courbe en plein milieu! Non mais c’est quoi l’idée au juste??? Est-ce que je viens de découvrir l’ingénierie Inuite? Heureusement, on arrive au village sans se casser la gueule.

Salluit est entouré de montagnes. C’est vraiment beau quoi que ça me semble un peu tassé. Mais pas de doute, c’est beau, beaucoup plus que ce que j’ai pu voir de Kuujjuaq qui me semble terne, plutôt plat. Ici, la topographie est aux antipodes. C’est difficile à dire mais les montagnes doivent bien faire 1200-1400 pieds. Comme il n’y a pas d’arbre, c’est difficile de juger, on n’a pas de point de repère. Mais elles ont l’air toutes proches et très loin en même temps.

Pour notre « orientation » la commission scolaire a décidé de nous loger chez des familles d’Inuit. J’ai un peu d’appréhension mais ça me plait vraiment de plonger à deux pieds dans cette nouvelle vie. Je rencontre donc mes hôtes, Charlie et Peta. Un couple du même âge que moi. Super accueillants. Charlie parle un français très acceptable. Le temps de me présenter, je remarque qu’il y a quelque chose comme 38 enfants dans la maison! Bon disons 6 mais quand même. Euh, c’est une commune ou quoi?

« Vous avez 6 enfants Charlie? »

« Non, non, ya plusieurs amis, j’en ai juste 3. »

Trois enfants à 27 ans…pas mal plus avancé que moi le Charlie. J’en apprends rapidement sur lui. Tout un hasard, Charlie vient de Kangiqsujuaq! Ses parents et ses sœurs sont toujours là-bas. Il a décidé de venir vivre à Salluit quand il est tombé amoureux de Peta. Je comprends pourquoi. Peta est très jolie et son sourire est à faire fondre les cœurs.

On m’installe dans une petite chambre pour moi tout seul et déjà je me sens mal. C’est que les enfants vont devoir partager un lit pour me laisser leur place. J’ai compris par la suite que ça arrive très souvent et qu’il ne faut pas m’en faire, bon, ok.

Les activités « d’orientation » débutent le lendemain matin à 9h00 à l’école, on a donc notre soirée. J’en profite pour faire connaissance avec la culture. Et Charlie a décidé qu’il n’y irait pas avec le dos d’la cuillère! Il me montre un phoque qu’il a chassé la veille. Il en coupe plusieurs morceaux. Je m’attends à devoir y goûter cru, j’avais quand même quelques notions de base, mais c’est une toute autre surprise qui m’attendait!

« Tiens, mange-ça, c’est délicieux! »

« Un œil de phoque??? »

Bon, pour ceux qui n’ont pas encore dit « ouach dégueux », je vous explique. L’œil d’un phoque est de la grosseur d’une balle de golf. Essayez seulement de vous mettre une balle de golf dans la bouche pour voir!!! Et maintenant, la meilleure façon de vous faire comprendre, c’est en évoquant des sons. Manger un œil de phoque, ça fait : « crounch…squish »!!! Disons que ça éveille tous les sens!!! Pour le goût, c’est impossible de comparer. C’est très intense. Disons seulement que si j’avais pu prendre un grand verre de Tabasco par la suite pour pouvoir m’enlever ce goût-là de la bouche, je l’aurais fait sans hésiter. Je ne crois pas que ça devienne une entrée du terroir chez Toqué!

Plusieurs m’ont demandé pourquoi je n’ai pas tout simplement refusé gentiment. Il faut comprendre que j’étais là aussi pour intégrer une nouvelle culture et que Charlie m’a fait comprendre, de la façon dont il m’a présenté « l’offrande » que c’était un véritable cadeau qu’il me faisait. Je ne pouvais pas refuser sans l’offusquer. Du moins, c’est ce que je pensais à ce moment-là. Car, je me suis bien rendu compte après les quelques jours passés en sa compagnie que Charlie aime bien rire. Est-ce qu’il m’a joué un tour pour voir si j’avais du cran? C’est bien possible. Faudrait que je lui demande un jour.

Mardi-Mercredi et Jeudi sont tous des jours d’ateliers. Plusieurs personnes se succèdent pour nous expliquer plein de choses. En général, c’est d’un ennui mortel. Une succession de Qallunaat (autrefois utilisé pour parler des Blancs, il réfère maintenant aux non-Inuit ou allochtones pour les puristes) qui essaient de nous parler de la culture et des programmes Kativik. Plusieurs d’entre eux ont l’air blasés. Anne, Michèle et Luc notamment, le conseiller pédagogique en mathématiques. C’est clair, il a juste hâte de retourner à Montréal. Car oui, aussi bizarre que ça puisse paraître, les bureaux de la CSK (Commission scolaire Kativik) sont tous à Montréal. Non mais comment peut-on penser donner des services adéquats de cette façon? On me dit que les conseillers voyagent régulièrement dans les communautés. Ah oui? Ça coûte $2100[1] pour un aller-retour Montréal-Kangiqsujuaq, ils doivent avoir tout un budget pour visiter les 14 communautés comme ça!

Heureusement, dans tout ce groupe de blasés, il y en a un de vraiment allumé : Jacques Pasquet. Écrivain et conteur émérite, Jacques est originaire de la France mais est au Québec depuis une vingtaine d’années. Il a toujours été fasciné par le Nord, les grands espaces. Il a réussi à joindre toutes ses passions en devenant conseiller pédagogique en français pour le secondaire.

Contrairement aux autres qui nous bourrent le crâne des « superrrrbes » programmes Kativik[2], il nous fait comprendre ce que c’est d’apprendre en langue seconde en nous présentant des textes en espagnol. C’est génial à mon avis. J’ai tout de suite connecté avec Jacques. Comme il s’occupe du français, je ne sais pas si j’aurai l’occasion de lui jaser un à un dans le futur. J’espère qu’il pourra visiter Véro, j’en profiterai!

Jacques est devenu un bon ami depuis. Je ne le vois malheureusement pas souvent mais je sais qu’il est là et je crois qu’il sait que je suis là aussi pour lui. 

Bref, ces trois jours sont d’une inutilité consommée mis à part la rencontre avec Jacques. Le jeudi midi, après avoir bu de l’eau directement du robinet, mon système digestif se rebute. Qui pourrait croire que l’eau, dans une région où tout semble si pur, puisse me causer des troubles intestinaux? Et bien oui. Il faut croire que les bactéries qu’elle contient ne sont pas les mêmes qu’au Sud et que le corps n’aime pas.

Ça tombe mal parce que le vendredi est réservé pour une excursion. Bon, pour la toundra j’aurai amplement le temps de me reprendre à Kangiqsujuaq mais ça m’attriste de rater le contact avec tous les autres profs. Enfin, c’est la vie.

Je passe donc le vendredi à discuter avec Charlie en attendant le lendemain matin pour prendre l’avion vers Kangiqsujuaq. Salluit est bien beau mais j’ai vraiment hâte de pouvoir m’installer chez moi et commencer à préparer mes cours parce que les élèves entrent en classe mercredi prochain.

Vers l’heure du souper, les profs reviennent de l’excursion. Mais ils ne sont pas les seuls à arriver. Un brouillard d’enfer s’accroche aux montagnes. Comme l’aéroport est au sommet, j’ai peur pour mon vol. Et j’ai bien raison parce qu’aucun avion n’a pu décoller Samedi.

Vous pouvez voir ce dont je parle dans la photo au haut du billet. Pour vous aider à comprendre, les montagnes vont jusqu’au haut de la photo, dans la purée de pois…et c’est là que se trouve l’aéroport!

Ce n’est donc que Dimanche matin que j’ai dit au revoir à Charlie en lui faisant promettre de venir me voir quand il sera de passage à Kangiqsujuaq. Comme premier contact avec les Inuit, je ne pouvais vraiment demander mieux que lui. En quittant, je lui demande comment dire mon nom de famille en Inuktitut : Arqutitsiaq. Je vais me présenter comme ça à mes élèves. Une belle entrée en matière non?

À suivre…


[1]               10 ans plus tard, en 2008, le prix de ce billet était rendu à $3900!!!

[2]               Les programmes Kativik de l’époque étaient absolument ridicules. J’y reviendrai plus tard.

Livre: Ma vie au Nunavik (1)

Mon parcours vers le Nunavik

1977:   Avec le recul, il était inévitable pour moi que ma vie se retrouve un jour au plus froid (ou plus chaud, ça dépend) de l’aventure Inuit. Je me souviens qu’un des livres qui m’a marqué étant très petit (pas plus vieux que 7 ans) fut Caroline au Pôle Nord. C’était un livre de bande-dessinée dans lequel Caroline partait pour le Pôle Nord pour reconduire un bébé ours polaire qu’elle avait adopté d’un zoo. Au cours de ce voyage, elle découvre le peuple Inuit. Des amis qui rient tout le temps et qui mangent du savon! (Erreur volontaire de l’auteur qui veut faire un lien avec la pierre à savon utilisée par les sculpteurs Inuit?)

Bref, depuis tout ce temps, j’avais le désir profond d’aller au sommet du monde, rencontrer ce peuple et vivre cet hiver extrême. Malgré cela, je n’aurais jamais pu me douter que vingt ans plus tard, non seulement allais-je connaître les Inuit et vivre cet hiver mais j’allais y rester suffisamment pour transformer ma vie.

1990-1992:   À la suite d’un DEC en administration, j’embarque pour l’Université de Montréal et un Baccalauréat en Mathématiques fondamentales. Je me rends vite compte que cet aspect des mathématiques n’est pas pour moi mais je m’obstine à continuer et à presque le terminer tout en cherchant autre chose. Un jour, j’ai une épiphanie, ce que je veux c’est transmettre des connaissances…c’est donc clair, je veux enseigner! Oui mais quelle matière?

Après m’être questionné plusieurs fois, et malgré un poids de 260 livres sur à peine 5’7’’, je me jette dans le vide et part pour un Bacc en Enseignement de l’Activité Physique à l’Université du Québec à Trois-Rivières! Tout un 180 degrés madame!

1992-1998:    Est-ce que vous pouvez imaginer ce que c’est d’être gros à ce point, carrément près de l’obésité morbide, et d’étudier pour devenir un promoteur de l’activité physique? C’est voué à l’échec n’est-ce pas? Et bien non, justement. J’ai toujours voulu prouver ma valeur à tout le monde. À mon père avant tout mais ce défi, c’était ma grande bataille. C’était mon débarquement de Normandie. La réussite signifiait pour moi que rien ne m’était impossible. Et plus que tout, je voulais que tout le monde soit impressionné. À la limite, c’était malsain puisque j’ai toujours travaillé (encore un peu d’ailleurs) pour que les autres m’aiment. Ça m’a coûté cher dans tous les sens du mot à quelques reprises. Mais un jour, mon père m’a suggéré fortement d’aller en thérapie avec le Dr Jacques Drouin. Ce fut salvateur! Cet homme m’a beaucoup aidé. Je ne crois pas l’avoir remercié suffisamment puisque mon aventure Inuit a coupé court à ce traitement. Comme je n’ai pas remercié suffisamment mon père pour m’y avoir poussé. S’ils lisent ces lignes, j’espère qu’ils comprendront à quel point je leur en suis reconnaissant.

À l’approche de la fin de mon Bacc, en janvier 1997, j’assiste à une conférence d’information sur l’enseignement à la Commission Scolaire Kativik. Je suis séduit. (Je le réaliserai plus tard, séduit par plusieurs mensonges éhontés!) J’envois mon c.v. avec l’espoir d’obtenir un poste pour l’année scolaire 97-98. En mai, pesant alors 270 livres, je termine mon Bacc et j’obtiens mon permis d’enseignement. Absolument incroyable! À la collation des grades, mes collègues bacheliers qui avaient suivi mon parcours pendant toutes ces années d’études s’étaient tous levés d’un bloc pour m’applaudir à tout rompre. Assez intenses comme émotions.

Le 3 juillet, toujours sans nouvelles de Kativik, je me dis que le rêve n’est plus.  Puis, le téléphone sonne : « Bonjour François, c’est Gaston Pelletier, je suis directeur de l’école Arsaniq à Kangiqsujuaq. J’aurais un poste à t’offrir, si ça t’intéresse, il faudrait que tu viennes directement chez moi à Longueuil pour une entrevue. »

Si ça m’intéresse? Si ça m’intéresse??? Je peux être là demain matin à 5h00! Il était plus 9h que 5h mais bon, vous comprenez. J’arrive là pompé au maximum. Ça y est! Nunavik me voilà!

Big bang! Il m’offre un poste fourre-tout, 25% en Mathématiques, 25% en Sciences Physiques et 50% comme généraliste à l’éducation des adultes. Quelle déprime! Même s’il me parle en me laissant clairement comprendre que j’ai le poste tout de suite si je le veux, ma déception est douloureuse. Je m’attendais à enseigner l’éducation physique, pas cette gibelotte! Après avoir entendu parlé de ce village, de l’équipe, du fait que c’est un nouveau directeur d’école, Inuk cette fois, qui prendrait les guides dès le mois d’août, je lui demande 48 heures pour lui donner une réponse. Je retourne chez moi tourmenté.

J’avais tourné le dos aux mathématiques. Je voulais vraiment enseigner l’éducation physique. Et pire, un vaste mouvement de mises à la retraite dans le secteur public au Québec me laissait croire que plusieurs postes seraient disponibles pour l’année suivante. Après 2 jours de torture mentale, je téléphone à Gaston pour n’obtenir que son répondeur : « Bonjour M. Pelletier, je suis désolé, mais je veux vraiment enseigner l’éducation physique et les mises à la retraite massives me donnent vraiment de bonnes chances. Merci pour tout mais je dois refuser votre offre. »

Non mais quel con, je suis! Les retraites c’est bien beau mon Frank, mais tu as oublié que les profs d’éduc sont entrés plus tard et plus jeunes dans le réseau. Résultat, pratiquement aucune retraite dans ce champ.

Je passe le reste du mois de juillet à me demander si j’ai pris la bonne décision. Le Grand Nord m’attire tellement…Puis c’est le choc au début du mois d’août. La comédienne Marie-Soleil Tougas et le cinéaste Jean-Claude Lauzon meurent dans l’écrasement d’un petit avion près de Kuujjuaq. Marie-Soleil que j’avais suivie de très près pendant tant d’années, j’en étais pratiquement amoureux depuis le temps de Peau de Banane. Et Jean-Claude, dont Un Zoo la nuit est certainement un des films québécois les plus importants à mes yeux. C’est tout un choc. Et que tout ça arrive sur le territoire que je tiens à vivre depuis plusieurs années. Le territoire où je viens de refuser un boulot. Est-ce que c’est un message que quelqu’un essaie de m’envoyer?

Novembre 1997:    Après les trois premiers mois de l’année scolaire, j’ai accumulé l’impressionnant total de 2 journées de suppléance! Je n’ai plus que 980$ en banque, les dettes me sortent par les oreilles à tel point que mes créanciers m’appellent à tous les jours. Je n’ai d’autre choix, je m’inscris au bien-être sÔcial. Et oui, je suis maintenant un BS à mon tour!

Évidemment, ce n’est pas avec 490$ par mois que je peux rembourser mes 40000$ de dettes d’étudiant. Mais malgré ce fardeau, je ne peux me résigner à faire faillite. Je décide donc d’inscrire toutes mes dettes au Dépôt Volontaire.

Janvier 1998:    Je décide, malgré ma situation financière plus que précaire, que je dois quitter le nid maternel. Disons qu’à 27 ans, il est plus que temps non? Je me retrouve donc, le 1er février, dans mon petit demi sous-sol et avec 110$ par mois une fois le loyer et le téléphone payés. C’est le grand luxe.

En mars, je décide d’envoyer mon c.v. à Kativik de nouveau. On ne sait jamais. Ce n’est pas comme si j’avais beaucoup à perdre! La semaine suivante, je reçois une lettre me convoquant à une entrevue le 1er avril. Je crois à un poisson d’avril en avance, mais non, l’entrevue est légitime. Je passe l’entrevue avec 4 personnes, dont deux que je reconnaitrai plus tard qui sont aux antipodes, Richard St-Laurent (conseiller pédagogique en sciences humaines) qui est chaleureux comme le soleil du printemps et Renée Carrier(directrice des services éducatifs) qui est glaciale comme la banquise. À un point tel que je crois que c’est fichu. J’ai toujours été d’un sens de l’humour profond, fondamental, et je me suis avancé à faire des blagues pendant l’entrevue mais Renée (que j’ai appris à apprécier par la suite) n’a jamais esquissé le moindre sourire. Merde! Encore une fois mon rêve est à l’eau.

Deux semaines plus tard, c’est la catastrophe. Je reçois une lettre des Ressources Humaines. J’appelle ma mère pour lui demander de venir l’ouvrir avec moi. Une fois arrivée dans mon château, j’ouvre l’enveloppe et je m’effondre : « C’est avec regret que nous devons vous annoncer que, bien que vous ayez été retenu comme candidat, aucun poste n’est disponible pour vous à ce moment-ci. Nous conservons votre nom sur notre liste et vous contacterons dans le cas où un poste s’ouvrirait. »

Ça y est. Je dois payer pour mon refus stupide de l’année précédente. Ma mère, qui essaie de me remonter le moral, me demande de me concentrer sur le fait que ma candidature a été retenue. Que rien n’est encore définitivement fermé. Mais rien n’y fait, pour moi c’est fini. Je suis destiné à vivre en BS dans mon demi sous-sol avec mes fourmis et à découper les coupons rabais de chez Métro pour payer mon simili-poulet!

Pendant les six semaines suivantes, je me suis apitoyé sur moi-même, traversant le fond du baril. Je n’ai plus rien devant moi. BS, 48$ en banque, dans une forme exécrable et carrément dangereuse, les idées suicidaires prennent de plus en plus de place dans mes journées. Sans ma filleule Gabrielle, à qui je ne peux me résigner de faire cette peine, je crois bien que ça y était.

En 2005, je tombe sur une diffusion de Dr. Phil. Ce jour-là, il mentionne qu’à la fin de notre vie, si on meurt assez vieux, on peut se rendre compte que 10 personnes ont eu une influence majeure sur notre vie et surtout que toute cette vie peut être résumée à 10 décisions majeures. Avec le recul, jamais une émission télé n’a été aussi révélatrice pour moi, même si c’est 7 ans plus tard que je m’en suis rendu compte, car le 28 juin 1998, j’ai pris une telle décision. Pourquoi? Je n’en ai encore absolument aucune idée.

Ce matin du 28 juin 1998, je me lève donc et les idées suicidaires me reprennent. Je cherche à savoir combien de grammes d’héroïne seraient assurément mortels. Je fume une cigarette, deux, cinq, dix…puis, sans savoir pourquoi, je fouille dans mes papiers et trouve le numéro de téléphone de Gaston Pelletier. Je fume encore 3-4 cigarettes. John Player étant mon meilleur ami à cette époque! Puis, je surprends mes doigts à pitonner sur le téléphone.

« Bonjour M. Pelletier, je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, c’est FrankyBgood. Je suis vraiment désolé de ne pas avoir accepté votre offre l’an passé. Je me suis rendu compte toute l’année à quel point ce fut une erreur. Je prenais une chance cet après-midi au cas où vous auriez un poste de disponible. »

 « Tu tombes vraiment bien François, j’ai besoin d’un prof, mais c’est pour exactement le même poste que je t’ai proposé l’an dernier. Est-ce que ça t’intéresse maintenant? Parce que je dois le savoir tout de suite, la réunion des nouveaux profs est demain matin 9h à nos bureaux de Montréal. »

« Oui, oui, j’accepte tout de suite! »

Et voilà, c’est comme ça que mon aventure Inuite commence. À peine 18 heures avant la limite, pour une raison inconnue, j’ai donné le coup de téléphone le plus important de toute ma vie pour me retrouver aux bureaux de Kativik en compagnie d’une vingtaine d’autres nouveaux profs qui embarquaient eux aussi dans l’aventure. Bizarre la vie parfois.

À suivre…

Parenthèse langagière

Juste une petite note avant de passer au billet sur les récits de ma vie au Nunavik. Plusieurs me font remarquer que j’écris souvent « des Inuit » sans faire l’accord au pluriel en ajoutant un « s ». Et bien justement, c’est volontaire. Voyez-vous, même si l’ÔOOffice de la langue fransssaizzze a décidé d’accorder ce mot, moi, j’ai décidé que je ne le ferais pas. Pourquoi? C’est bien simple: le mot Inuit vient de la langue Inuktitut et représente le pluriel du mot Inuk. Il est donc déjà accordé au pluriel. Il ne s’agit pas ici de l’unique exemple dans la langue française pourtant, on dit bien soli en parlant du pluriel de solo, mot intégré de la langue italienne. Alors voilà.

Le seul « hic » est au moment où on doit utiliser un adjectif. Par exemple, si je veux parler de mon expérience chez les Inuit, je voudrais bien la qualifier et j’aurais tendance à dire « mon expérience inuite » mais ça ne tient pas debout puisque « inuit » est un pluriel, alors rajouter un « e », il me semble que ça devient féminin pluriel pis que ça fait dur 😦   Mais bon, comme je n’ai pas encore trouvé de meilleure façon, je vais me permettre cet écart quand il sera question des adjectifs…mais pour le pluriel, ça non!

Un livre ou un blog?

Il y a de cela plus d’un an, j’entreprenais la rédaction d’un livre (d’un 3e en fait puisque j’ai près de 1000 pages d’écrites sur deux autres romans en cours) qui allait raconter dans le détail ma vie Nordique avec les Inuit. Comme pour mes autres amorçes de livres, je trouve ça terriblement exigeant de terminer une telle oeuvre. Je ne suis jamais satisfait, j’ai l’impression d’avoir toujours quelque chose à dire et souvent je dois prendre des pauses assez longues pour mieux m’y replonger.

Mais là, l’idée d’écrire mes « chapitres » ou sections directement sur le blog, ça commence à me chatouiller. Comme si ça rendait la ponte plus facile… Il y a plusieurs personnes de la blogo qui jonglent avec l’idée de transformer leur blog en livre, comme notre Pat Duval national. Et si je transformais mon livre en blog? Si ça me permettait de le terminer? Quitte à le retransformer en livre par la suite? Oh, ne vous faites pas d’illusion, je n’en ai pas moi-même de devenir écrivain, je trouve ça beaucoup trop pénible, d’ailleurs, même terminé je crois que j’aurais édité ce livre moi-même simplement pour avoir l’histoire reliée et pouvoir la distribuer à mes proches. Mais je crois voir dans ce blog un outil pour y arriver…

Comme j’ai déjà énormément de contenu d’écrit, je vais vous en passer des bribes de temps à autre…on verra bien.

Je vous proposerai donc, dans le prochain billet, mon parcours menant aux débuts de mon aventure Inuit…

Mon Blizzard: Inummarit!

Pour faire un clin d’oeil à mon pote Barbare qui vit un beau blizzard depuis 5 jours en attente de sa bouffe, j’ai pensé vous publier une histoire que j’ai écrite le 3 mai 2003, au lendemain de la plus grande « aventure » de ma vie de Nunavimiut:

La journée s’annonce belle, il est 6h, le soleil plombe déjà. Mes affaires sont prêtes. Mon lunch est fait, j’ai ma crème solaire, ma caméra, ma .22 magnum, mes cartes topo, mon GPS, mon sac de couchage -40 C, mes vêtements de rechange, mes bottes d’eau, au cas où la slush serait trop profonde. Il ne me reste qu’à réveiller les filles à 7h, prendre ma douche, déjeuner et je suis prêt.

À 6h55, le téléphone sonne, les filles sont nerveuses, elles sont déjà debout. Ça se comprend, après tout, ça fait déjà 3 semaines que je leur dis à tous les jours de classe que je vais les amener camper une fin de semaine. Comme la “fin de semaine” s’est transformée en journée de pêche, elles veulent en profiter, et moi aussi. On en vient à conclure que le départ se fera à 8h00.

Bon, je sors avec mon bac bleu bien rempli. Ma carabine et mon manteau sous le bras pour ne pas avoir chaud avant de me mettre à rouler. Dehors, il fait seulement -5 C mais dans ma cabane nouvellement isolée de cet automne, il fait 17 C. J’attache un 5 gallons à l’arrière du qamutik (traîneau). Je place le bac bleu, la carabine bien enveloppée dans son étui et une bâche bleue. Je place ensuite de gros coussins dans le fond et à l’arrière. J’en place aussi un autre accoté sur le bac bleu, ça servira de dossier et comme ça les filles pourront se faire face pendant le voyage. J’ajoute une bâche bleue de plus, quelques cordes, une pelle, un bidon d’huile et le Coleman. À 8h05, je quitte pour aller chercher Elaisa et Siasi. Elles ne sont pas tout à fait prêtes. Elles sont visiblement nerveuses et enjouées. Finalement, on part de Kangiqsujuaq  à 8h25 sur les paroles d’Elaisa: “C’est vraiment confortable, personne n’a jamais arrangé son qamutik comme ça!”

Ça roule très bien. La petite neige de la semaine a égalisé le terrain. Le soleil est tellement fort que je m’arrête pour vérifier que les filles se sont bien beurrées de crème solaire. Après 14 kilomètres dans les terres, on embarque sur le détroit d’Hudson par Akulivik. Le ciel est bleu, c’est toujours merveilleux de rouler sur le détroit quand il fait beau. Rendu au kilomètre 42, on s’arrête à Tulukkaat, au camp de Lukasi Tukirqi qui est là avec sa femme Lyrithe, l’infirmière du village, ses deux filles, Amanda et Maali, qui sont aussi mes élèves, et Véronic, mon amie et collègue. Ils étaient tous partis la veille. On prend le thé comme c’est la tradition mais on reprend la route après 30 minutes à peine.

 Mes deux girls, Elaisa et Siasi, en route le matin de cette expédition dans mon Qamutik (en passant, ce qui est écrit dessus veut tout simplement dire « Le qamutik de François »…les Inuit aimaient bien mon Qamutik assez unique merci!

 

 Rendu aux alentours de Qikirtaaluk (l’île aux masques), je me rends compte que le ciel est traversé par ces grands nuages d’altitude, le jet stream, souvent annonceurs de l’arrivée d’un système météo. Pourtant, Environnement Canada n’avait rien prévu de majeur, on parlait d’ennuagement et on ne mentionnait même pas les vents. Faudra garder l’oeil ouvert, je n’aime pas ça.

Finalement, sans problème, on arrive à Iqalukkait, kilomètre 78, à 11h00. Un bon temps, considérant la pause. Il fait vraiment chaud, j’enlève mon manteau. On commence à pêcher. Faut dire qu’il n’y a pas grand monde. Il y a Lukasi Pilurtuut avec son fils Joe qui sont là pour la fin de semaine. Il y a aussi Peter Qisiiq et sa femme Dallacie, avec leurs deux petites filles. On grignote, les filles pêchent, je m’en vais à pied à la chasse aux lagopèdes. À mon retour avec 4 de ces superbes perdrix des neiges,  j’aperçois 2 autres motoneiges près des filles. C’est Éric Fréchette, l’animateur de la résidence qui est là avec sa femme Elisapie et sa fille Elaisa, en plus de Velesie Nungak et Qalingo Suliusi qui sont venus avec lui.

La journée passe, il fait chaud, on a du fun. Les filles sont contentes d’être sorties. Elles n’en ont pas souvent l’occasion. En parlant avec Éric, on réalise qu’on pense tous les deux partir vers 19h00. On décide donc de partir ensemble. Les ombles arctiques s’accumulent sur la glace et les lagopèdes dans les sacs.

 À 15h00, le vent tombe. Plus de vent du tout. Coup d’œil au ciel, le bleu est maintenant blanc. Bon, bon, le système est arrivé? J’avise Éric et les filles que je pense devancer mon retour de 2 heures. Je n’aime pas le ciel. Puis à 15h15, le vent souffle tout d’un coup à 40-50 km/h. Je n’aime vraiment pas ça. Je ne veux pas énerver les filles mais je pense que ça a dû paraître dans mon visage car elles m’ont dit: “Tu veux partir avant?” Je n’allais pas leur mentir, il fallait s’en aller au plus maudit. Elles me demandent si elles peuvent manger avant. On décide donc d’aller au camp de Lukasi Pilurtuut à l’autre bout du lac pour faire chauffer de l’eau et manger. Le temps de se rendre, il commence à neiger. Le temps de faire bouillir l’eau, il est déjà 16h00. Comme les filles en sont à leurs dernières bouchées, Éric arrive au camp et vient me dire qu’il part tout de suite. Pas de problème, je le rejoindrai, comme d’habitude.

Trois minutes après, c’est au tour de Peter d’arriver au camp et de dire qu’il s’en va. Je lui dis la même chose qu’à Éric. Finalement, les filles ont terminé de manger, on emballe et on s’en va. “Mettez tout ce que vous avez comme protection pour la figure les filles, ça va être pénible au retour.”

Comme Iqalukkait est un lac au creux de montagnes, le ciel Nord-Ouest nous est impossible à voir. Mais après 5 minutes, je me rends bien compte que “la merde est pognée”. Le vent n’est plus bloqué par les montagnes et souffle à 60-70 km/h. Comme prévu, je rattrape Peter juste avant de passer par Assuukaaq. En me voyant derrière lui, il décide d’accélérer. On ne voit plus rien. Il neige à plein ciel et même si on est dans les terres, on distingue à peine les roches que nous croisons. Je veux rattraper Peter pour lui suggérer de rentrer à Iqalukkait pour la nuit mais il va trop vite. Comme j’ai deux filles dans mon qamutik, je ne veux pas trop pousser. D’autant plus que la loi du Nord est que si quelqu’un s’attend à ce que tu le suives…tu le suis! Autrement, le “chien de tête” pourrait se perdre en tentant de retrouver quelqu’un qui n’y est plus…le meneur étant responsable du premier qui le suit et ainsi de suite.

Une fois sorti des terres et de retour sur le détroit, il n’y a même plus de roches pour donner du relief. On ne voit rien. La seule façon pour moi d’avoir une petite idée du relief est de me lever debout sur la motoneige. La combinaison lunettes de ski et pare-brise enlève toute perception de profondeur. Comme la neige est dure et mouillée, ça me fouette le visage. Mais ça me permet de voir la piste de Peter et finalement, j’aperçois une lumière rouge. C’est le feu arrière de la motoneige de Peter. Il est arrêté. Rendu où on en est, il m’est évident que ça ne donne rien d’essayer de retourner à Iqalukkait, aussi bien continuer. Mais on ne voit RIEN! Le vent doit être rendu à 80 km/h. Nos manteaux claquent au vent comme le font les drapeaux au haut d’un mât.

Je sais, d’après le cap emprunté à la sortie des terres, que je suis dans la bonne direction et que je dois être entre Qikirtaaluk et Qaulassivik, comme il se doit. Mais je ne les vois pas. Peter étant un Inuk, je le laisse passer devant. Mais je m’aperçois assez rapidement qu’il regarde par terre constamment et zigzague sans arrêt. Il cherche la piste du matin. À mon avis, c’est inutile et c’est une perte de temps puisque les pistes vont dans tous les sens à cet endroit. Je sais qu’on ferait mieux de suivre le cap jusqu’à la prochaine structure identifiable. Et comme pour me donner raison, une accalmie passagère nous permet d’apercevoir Qikirtaaluk. On est sur la bonne route. Le problème c’est qu’à plusieurs endroits sur la route, on doit emprunter les terres. Comme on est à marrée basse, les passages des glaces ne sont pas praticables sauf à quelques endroits bien précis. Il faut donc trouver ces passages. Par chance, celui d’Aivirtuup est très clairement indiqué par la forme typique de sa petite montagne. Après toutes ces années, je reconnais des roches! Il reste 32 kilomètres. Les filles sont stressées. Je les rassure du mieux que je peux : “C’est une chose de ne pas trouver la route, c’en est une autre de ne pas savoir où on est. Ne vous inquiétez pas. On n’est pas perdu. Je sais exactement où on est. C’est seulement la route qui est dure à trouver.”

Retour sur le détroit pour faire 15 kilomètres avant de tomber sur Uujararittik. Une île sous-marine mais qui donne un monticule de glace, qu’on doit contourner par l’Est (mais pas trop, sinon c’est dans l’eau directement!) pour prendre ensuite le cap Nord pour pouvoir entrer dans la baie d’Akulivik à l’Ouest. Mais Peter prend l’Ouest trop tôt. On se retrouve donc à manœuvrer dans 1.2 kilomètres de murs de glaces de 10 pieds de haut dans le passage très étroit entre les deux îles Qikirtaavaluk et Qikirtaluarusiq.  Comme on est en plein crépuscule, impossible de distinguer le relief des glaces. Des montées de six pieds en virage, des descentes escarpées qui se terminent par un bon pied de slush, des morceaux de glace vive, des trous de 2 pieds de neige folle, des vents de 100 km/h qui balaient la neige par-dessus les glaces et me fouettent le visage en m’empêchant de regarder directement devant puisque le cap est Nord-Ouest. Et tout ça avec mes deux élèves dans le traîneau qui menace à tout moment de se coincer un patin dans une crevasse où de déchirer son attache métallique par trop forte tension dans les virages abruptes et une visibilité tellement mauvaise que la motoneige à 10 pieds devant soi est invisible.

Comparaison entre 2 photos: À gauche, en plein juillet et à droite, en plein blizzard…les 2 photos ayant été prises du même endroit et dans la même direction!

 

Sur une petite section plate, on arrête pour faire le point. Peter a honte d’admettre son erreur mais il s’y résigne. Sa plus petite pleure à “chaudes” larmes. En regardant vers l’arrière, je vois deux lumières arriver. C’est Éric et Qalingo qu’on a dépassé, je ne sais pas quand, ni où ni comment. Ils ont vu nos lumières et ont décidé de nous suivre. Le train se remet en route. On sait que les glaces tirent à leur fin. Peter mène toujours et pour essayer de réparer son erreur sans doute, va plus vite…ce qui résulte en une superbe sortie de piste qui renverse tout le contenu de son qamutik, femme et enfants compris, dans un immense tas de neige. Pas de casse, on replace le tout et repart. On débouche finalement sur Akulivik. Plus que 15 kilomètres.

À la montée de la montagne d’Akulivik, on débouche sur le lac Sanguipiluk. Et on garde le cap franc Ouest. Mais Peter se dirige plutôt vers le Sud (!) et tente encore de chercher la piste en montant les collines qu’il ne devrait pas monter. Je tente de le dépasser pour lui dire mais comme il pense pouvoir rentrer chez lui les yeux fermés à partir d’Akulivik, il roule très vite. Je ne veux pas prendre de chance de frapper une roche avec les filles dans le traîneau… je le laisse aller. Mais finalement, Peter arrête et a un rare moment d’humilité et me signale avec dépit qu’il est perdu. Je lui explique qu’il est allé trop au Sud, que nous avons perdu le cap des enfilades de lac Sanguipiluk et Kivinilik. Je prends donc la tête et me dirige vers l’Est pour retrouver les lacs. Mais comme on est maintenant dans les terres et qu’on n’a pas eu beaucoup de neige cette année, il y a beaucoup de roches à contourner.

Après 10-15 minutes, je m’arrête car les filles crient pour m’avertir que j’ai perdu les autres. J’attends donc un peu et ils me rejoignent. Je parle avec Éric et je reconnais un amas de roches. Je sais où je suis…mais je réalise que le vent, qui avait toujours été sur ma joue gauche, était maintenant sur ma joue droite! Oups, j’ai fait un 180  sans m’en rendre compte. Bon là, c’est le temps de réessayer le GPS. Sur le détroit, il ne captait rien et de toutes façons, ça n’aidait pas vraiment car on devait trouver le bon passage dans les glaces et je savais pas mal où on était mais là, on a juste le goût d’arriver. Finalement, le GPS arrive à capter 3 satellites de façon momentanée, juste assez pour me donner ma position. Il perd et retrouve ses satellites sans arrêt.

Comme je dois me tenir debout, je ne peux laisser le GPS dans son socle sur le guidon…je dois donc le tenir d’une main pour qu’il communique avec les satellites, et conduire de l’autre main. Et comme c’est la main qui actionne aussi la manette des gaz, c’est très pénible dans le blizzard infernal, le vent, la neige qui fouette, les roches, les bosses et le fait que je doive rester debout pour voir 5 pieds devant moi. Finalement, complètement épuisé, je reconnais la montagne au Sud du village et je mène le train en faisant mon entrée triomphale dans Kangiqsujuaq à 20h20 par un cap à 90 degrés de l’arrivée prévue!

Mes deux filles, pour qui j’étais déjà un héros (lol), me remercient comme je ne les ai jamais entendues le faire. Je rentre chez moi complètement fourbu et le visage à vif…mais aussi profondément gratifié. Je sais que si j’ai réussi à rentrer, à savoir où j’étais pendant tout cet enfer blanc, je le pourrai toujours. Il suffit de ne pas paniquer. Ça va être plus long, mais on va se rendre. J’ai vécu mon blizzard. J’ai ramené à la maison, tout le groupe, après 80km en plein blizzard. C’est officiel maintenant, je suis Inumaarit. Comme un vrai Inuk! Cette histoire a fait le tour du village assez vite…disons qu’après ça, les Inuit m’ont vraiment vu autrement!   🙂

 

Jour du souvenir Inuit

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Pour la grande majorité des Canadiens, le 11 novembre, c’est le Jour du Souvenir. Je n’écrirai pas sur ça parce que ça pourrait être laid.

Mais pour tous les Inuit et les Cris du Québec, comme pour les gens qui ont travaillé auprès de ces peuples comme moi, le 11 novembre, c’est l’anniversaire de la signature de la Convention de la Baie James et du Nord Québécois. Une entente sans égale ailleurs en Amérique. Le 11 novembre 1975, la CBJNQ (un texte de près de 500 pages) est finalement signée après 2 ans de négociations serrées entre les peuples Cris et Inuit et les représentants du gouvernement du Québec (alors sous Robert Bourassa).

Depuis, avec l’ajout de plusieurs annexes, conventions complémentaires et cartes détaillées, ce bijou de livre de chevet fait près de 900 pages. Et disons qu’on est loin de la recette d’omelette au fromage de Jean-Paul…je ne recommande pas cet ouvrage bien assis dans votre fauteuil de plage, une Mol à la main, lors de votre prochain passage à Wildwood. Assez brutal disons.

Dans le cadre de mon travail actuel, je dois m’y référer régulièrement puisque le chapitre 17 traite d’éducation au Nunavik. Je ne vous merdedetaureauterai pas, à part ce chapitre, la CBJNQ, je la connais autant que la peinture abstraite…ça impressionne au premier coup d’œil mais au bout du compte, on comprend rien.

Cependant, dans le cadre du 34e anniversaire de sa signature, et aussi en raison de toute la merde provoquée par le détournement de la rivière Rupert à l’heure actuelle, je croyais bon de vous en faire connaître quelques aspects.

À l’époque, le représentant de Bourassa dans cet épineux dossier était le député de Mont-Royal, John Ciaccia. Oinukshukn a beau lire tous les beaux discours, il est clair pour moi que la seule raison de l’existence de cette convention est de permettre au gouvernement de faire à peu près ce qu’il veut sur ce territoire, mais avec suffisamment de candy pour que les peuples signent. Bon, je sais, c’est assez étroit comme vision. Plusieurs Inuit et Cris vous diront que la CBJNQ est une excellente chose pour leur peuple…surtout les signataires. J’en connais d’ailleurs quelques-uns personnellement.

Dans son discours de présentation du projet d’entente à l’assemblée nationale, John Ciaccia y est allé de toute une diarrhée d’arguments et d’explications mais à mon avis, tout l’esprit de cette entité se résume en un seul paragraphe :

 « Évidemment, les autochtones jouiront d’un statut particulier sur ces terres. C’est justement dans ce but que nous leur octroyons cette catégorie de terres. Il y a plus encore. Le Québec conservera le droit d’utiliser les terres de la catégorie I à des fins publiques. Les droits acquis, tant privés que publics, sont protégés. Si les activités publiques sur ces terres nuisent à l’usage qu’en font les autochtones, ces terres leur seront remplacées. »

Pour illustrer mon propos, sachez que la CBJNQ traite d’un territoire de 410000 milles carrés. Les terres de catégorie I « octroyées » par le gouvernement sont de l’ordre de 3250 milles carrés pour les Inuit et de 2158 milles carrés pour les Cris. Ceux qui savent compter remarquent que c’est moins de 1% du territoire pour chaque peuple.

En très bref, le gouvernement fait ce qu’il veut de 98.7% du territoire et peut faire ce qu’il veut du reste mais selon « certaines conditions »! Tout ça, à l’époque, pour 225 millions de dollars sur 20 ans. Depuis, des ententes complémentaires ont imprimé encore plus de candy.

Sachez que la CBJNQ est au-dessus de toute loi provinciale et même au-dessus de la loi fédérale sur les Indiens. En d’autres mots, elle fesse dans’l’dash. En ce sens, elle a tout de même le mérite de protéger certains droits des autochtones Cris et Inuit…ce qui est loin d’être la même chose pour les autres peuples de notre territoire.

Mais malgré tout, quand on entend le représentant d’Hydro-Québec, lors de l’amorce officielle des travaux de détournement de la rivière Rupert nous dire :

 « Nous avons décidé de ne pas faire de cérémonie, par respect pour les Cris. »

on comprend facilement que petit à petit, les quelques droits qui leur restent seront tranquillement égrainés. Seule lueur d’espoir : le gouvernement autonome. Mais ça niaise sur un moyen temps de ce côté-là et ça, c’est un autre dossier. Je vous en parlerai éventuellement.

Alors moi, aujourd’hui, j’ai simplement le goût de dire à mes amis, anciens élèves, chums et blondes Inuit que j’y ai laissé, que je pense à eux, et que je continue quotidiennement à défendre leurs droits et intérêts du mieux que je le peux.

Atsunai.